Peut-on encore parler de possession quand un jeu vidéo devient inaccessible du jour au lendemain, sans recours, alors qu’il a été acheté en toute légalité ? C’est la question que pose une pétition européenne, Stop Killing Games, lancée début 2025, après plusieurs fermetures de serveurs dans l’industrie. Elle appelle à garantir un accès minimal aux jeux, même après la fin de leur exploitation. Pas pour exiger une maintenance éternelle, mais pour permettre, au minimum, un usage hors ligne.
En ligne de mire : la pratique, désormais courante, qui consiste à retirer purement et simplement l’accès à un jeu dès qu’il n’est plus rentable. L’exemple le plus emblématique reste The Crew, jeu de course lancé par Ubisoft en 2014. En avril dernier, l’éditeur a mis fin à ses serveurs, rendant le jeu totalement injouable. Même les modes solo, pourtant accessibles techniquement, n’ont pas été conservés.
La réponse d’Ubisoft, reflet d’un modèle
Face à l’ampleur de la mobilisation — plus de 1,4 million de signatures — Ubisoft a été contraint de réagir. Interrogé lors de l’assemblée générale du groupe en juillet, Yves Guillemot, son PDG, a répondu sobrement : « Rien n’est éternel. » Il a toutefois reconnu que la question méritait une réponse à long terme, et promis que The Crew 2 serait rendu jouable hors ligne à l’avenir. Une ouverture, certes, mais encore limitée.
Car cette approche, répandue dans le secteur, repose sur un modèle devenu dominant : l’acheteur ne possède pas son jeu, il accède à une licence, conditionnée à des services techniques extérieurs. Lorsque ces services s’arrêtent, le jeu disparaît. Ce modèle est légal, mais il entre en contradiction avec les attentes d’une partie croissante du public. Beaucoup découvrent, trop tard, qu’ils n’ont rien acquis de tangible.
Ubisoft n’est pas seul à s’opposer à la pétition. Des organisations comme Video Games Europe alertent sur les risques techniques et économiques d’une obligation de maintien.
Une question culturelle devenue politique
La Commission européenne devra prochainement examiner la pétition. Si elle débouche sur une proposition législative, les éditeurs pourraient être contraints de prévoir des solutions de repli : mode local, serveurs partagés, documentation publique...
Pour Ubisoft, cette séquence ne pourrait tomber plus mal. L’entreprise sort à peine d’années difficiles, entre controverses internes, reports de projets et communication bancale. Face à une communauté qui réclame des engagements clairs, la réponse évasive du PDG risque d’alimenter davantage la défiance que de l’apaiser.